CHAPITRE XVII
Corran jugea que les étudiants de l’université d’Agamar s’étaient bien débrouillés face aux conditions de vie sur Bimmiel. Très ingénieux, ils avaient fabriqué des raquettes spéciales qui permettaient de ne pas s’enfoncer dans le sable. Un compartiment, au niveau du talon, contenait assez d’essence de rat des sables morts pour que leurs congénères ne vous suivent pas à la trace.
Les tempêtes de sable recommencèrent peu après l’arrivée des deux Jedi, les confinant dans la caverne avec l’équipe de recherche. Corran décida que Ganner et lui monteraient la garde à tour de rôle à l’entrée de la caverne, surtout la nuit, où leur perception de la Force faciliterait le repérage des rats des sables. Les étudiants ne virent aucun inconvénient à abandonner leur tour de garde. Ayant du matériel à infrarouges qui leur permettait de repérer les rats des sables, ils ne se privèrent pas de déclarer les Jedi idiots de se fier à des méthodes archaïques de détection…
Si les critiques exaspérèrent Ganner, Corran s’en soucia peu. Et il ne s’en cacha pas :
– S’ils pensent que nous sommes lents, dit-il à Ganner, ils se croiront supérieurs à nous. Ça nous rendra moins menaçants à leurs yeux. Comme nous devrons vivre avec eux un certain temps, mieux vaut qu’ils nous considèrent comme des rigolos que comme des sauvages.
Ganner avait son idée sur la bonne façon d’améliorer les relations avec les étudiants. Trista passait une partie des tours de garde avec eux. Voir que Ganner s’entendait bien avec elle eut un effet étonnant sur le groupe. Les hommes qui trouvaient la jeune femme désirable ne s’en prirent pas aux Jedi, de peur d’offenser Trista. Ses amies restèrent relativement neutres envers les Jedi. Les autres, y compris le docteur Pace, considérèrent le début de romance comme un signe que Ganner était humain, donc facile à manipuler. Cela détendit un peu l’atmosphère.
La semaine d’orages permit à Corran d’en apprendre davantage sur le cadavre du Yuuzhan Vong et sur ses artefacts. L’équipe scientifique examina l’armure et les armes, confirmant ce que Corran soupçonnait : c’étaient à la base des créatures vivantes.
Les Yuuzhan Vong avaient déjà été sur Bimmiel au moment où la planète s’éloignait du soleil. Selon Corran, s’ils décidaient de revenir, ils seraient parfaitement adaptés aux conditions climatiques, puisqu’ils savaient à quoi s’attendre.
Le Jedi était persuadé qu’ils étaient revenus et rôdaient quelque part dans le secteur. Un peuple si martial ne pouvait pas manquer de venir récupérer le corps d’un camarade tombé au combat. Corran ignorait pourquoi il leur avait fallu cinquante ans pour revenir s’occuper du cadavre.
Mais si son intuition était juste, l’équipe d’archéologues était en grand danger.
Quand les tempêtes cessèrent, Corran prépara un plan de reconnaissance des lieux pour Ganner et lui. Attendant la tombée de la nuit, ils fixèrent des raquettes à leurs bottes et partirent vers l’est, en direction des berges de ce qui était un lac à l’époque de la visite des Impériaux. Ils n’avançaient pas vite, mais les raquettes leur permettaient de marcher sans s’enfoncer dans le sable.
Corran et Ganner s’accroupirent derrière une dune pour regarder une horde de rats des sables dévorer une autre créature. Les prédateurs grognaient et se disputaient les morceaux de viande arrachés au cadavre. En les regardant, Corran se sentit presque désolé pour le Yuuzhan Vong qu’ils avaient trouvé dans la caverne.
Une odeur acre et désagréable planait dans l’air. Corran plissa le nez de dégoût.
– C’est pire que l’odeur de la mort !
– C’est celle de la chasse. Trista dit que les rats des sables l’émettent quand ils ont tué une proie. Ça indique aux autres qu’il y a de la nourriture dans le secteur. Ils se rapprochent, poussant les shwpis devant eux. Les étudiants ont constaté que les rats des sables ignoraient parfois l’odeur de la mort, préférant celle de la nourriture. Ils pourraient la synthétiser aussi, mais ils n’osent pas, de peur de les attirer vers leur refuge.
– Excellente idée. Contournons le site où ils se nourrissent et allons plus loin. Je capte comme des émanations de… Eh bien, je ne sais pas trop quoi, mais…
– Moi aussi. Des choses bizarres…
Les deux Jedi continuèrent, respectant le silence audio. Les émotions perçues à travers la Force se manifestaient parfois comme une douce musique, ou comme quelque chose d’aussi dur que du transpacier. Corran sentit chez Ganner de l’excitation à l’idée de ce qu’ils allaient découvrir.
Il décida de donner moins d’ordres à son compagnon et de le laisser faire des choix mineurs pour le calmer. Par exemple, décider comment contourner une ligne de rochers située sur les collines entourant le lac.
Ganner prit la tête, ravi. Quand ils eurent retiré leurs raquettes, ils avancèrent rapidement sur le sol de pierre.
Ils s’arrêtèrent au sommet, puis restèrent à couvert pour descendre. Au pied des rochers, ils firent halte et étudièrent le lit ensablé de l’ancien lac.
Un village se dressait un peu plus loin. Mais les gens l’avaient bâti selon une logique que Corran ne comprenait pas. Des huttes de pierre en forme de bol renversé s’étendaient à la périphérie du village, leurs entrées donnant sur l’est, de l’autre côté des Jedi. Corran compta deux douzaines de huttes, disposées en deux rangées de six. Au-delà, il y avait trois bâtiments de forme identique, mais plus grands, et derrière encore, une bâtisse assez large pour servir de hangar à un cargo.
Corran fut frappé par deux évidences. Primo, ces bâtiments lui rappelaient des coquilles de mollusques. Sachant que certaines formes de vie aquatique s’appropriaient les coquilles abandonnées, il n’était pas surprenant que les Yuuzhan Vong soient venus vivre dans les demeures d’autres êtres. Il n’avait aucune idée de ce qu’étaient devenues les créatures originelles. Avaient-elles servi de nourriture aux Yuuzhan Vong ?
Secundo, il percevait des formes de vie à travers la Force dans les plus petites coquilles.
Il regarda Ganner.
– Quelque chose ne va pas avec les habitants…
– On dirait que des parasites s’interposent entre eux et la Force. Leur lien avec elle s’affaiblit. Je pense qu’ils sont en train de mourir.
– Ça me paraît exact… Obtiens-tu quelque chose avec les plus grandes coquilles ?
– Les coquilles ? Bien sûr, ce sont des coquilles ! Non, je ne perçois rien.
– S’il y a des Yuuzhan Vong dans le secteur, ils sont probablement dans les plus grands bâtiments.
– Je suppose, dit Ganner. Et les rats des sables ? Tu les détectes ?
Corran localisa des rats des sables en utilisant la Force, mais à vingt mètres au moins du village des Yuuzhan Vong. Ils se dirigeaient vers le village, puis s’en détournaient au dernier moment. Certains passèrent dessous, mais aucun n’y fit surface.
– Les crois-tu capables de tenir les rats des sables à distance ?
– Je l’ignore, dit Ganner. (Il détacha les raquettes, qu’il avait fixées sur son dos pour grimper, et les remit.) Un coup d’œil rapide nous l’indiquerait.
Corran fronça les sourcils.
– Nous ne sommes pas très habiles avec ces tracs aux pieds. Y aller me semble un peu suicidaire…
Ganner eut un sourire glacial.
– J’ai quelque chose qui me rendra plus agile.
– Tu n’iras pas tout seul !
– Tu serais trop lent. En cas de problème, tu…
–… compteras sur ton quelque chose pour me tirer d’affaire. (Corran mit aussi les raquettes.) Trista t’a sûrement expliqué en long et en large ce qui est normal dans le secteur. Garde les yeux ouverts pour repérer tout ce qui te semblera inhabituel. Prenons des échantillons de sable pour déterminer ce qui tient ces foutus rats à l’écart.
– Je ne suis pas idiot, tu sais !
– Tu dis ça, mais c’est ton idée d’aller voir ce qui se passe dans le village.
– Et tu veux venir avec moi. C’est futé, ça ?
Corran leva les yeux au ciel.
– Allons-y !
Ganner ouvrit la marche.
Les deux Jedi entrèrent dans le village yuuzhan vong par l’extrémité ouest. Ils s’accroupirent à l’ombre d’une hutte-coquille. Le flux de Force, dans la hutte, rappelait celui de créatures endormies, mais il n’était pas paisible du tout.
En avançant, Ganner vit une ouverture sur le côté est de la coquille. La créature qui l’avait sécrétée avait dû s’enrouler autour d’un axe central pendant qu’elle fabriquait sa demeure-armure. La coquille était placée de manière à ce que l’entrée soit un peu enfoncée dans le sable. Corran en déduisit que son habitant rampait à l’intérieur, puis s’enfonçait plus profondément pour dormir dans la partie située au-dessus de l’ouverture.
Suivant un chemin parallèle à celui de Ganner, il s’enfonça dans le village. Puis il s’arrêta et, sortant un cylindre de duraplast de sa poche, le planta dans le sable pour prélever un échantillon. Il reboucha le cylindre, remarquant des mouvements à l’intérieur du flacon. Un scarabée inspectait la paroi transparente, cherchant une sortie. Corran creusa un peu plus dans le sable et trouva un autre scarabée, différent du premier, car il avait des cornes. Il creusa encore, et trouva une troisième sorte de scarabée, plus petite. Mais il était impossible de dire s’il s’agissait d’un jeune ou d’une autre espèce.
Il fit d’autres trous sans rien trouver. Puis il rejoignit Ganner, accroupi à côté d’une hutte.
Il n’aurait pas dû aller si loin tout seul !
Un cri perçant retentit dans une des coquilles. Une créature en sortit en rampant. Globalement humanoïde, elle avait sur les bras, les jambes et l’épine dorsale, des excroissances ressemblant à des morceaux de corail. L’être essaya d’arracher celle qui sortait de sa joue droite en hurlant d’une voix aiguë plus animale qu’humaine.
La créature dépassa Ganner, tomba et essaya de se relever. Autour d’elle, le sable ondula et une poussière fine s’en éleva, comme de la vapeur d’une marmite d’eau bouillante.
Corran ne vit pas ce qui faisait bouillonner le sable, mais il sentit une vibration bizarre à sa ceinture. Regardant les scarabées qu’il avait capturés, il vit que le cornu s’agitait furieusement.
Deux guerriers yuuzhan vong grands et minces sortirent des deux premières huttes. Ils ne semblaient pas inquiets ni soucieux du sort de l’esclave. Avec une grâce qui aurait été presque sensuelle s’ils n’avaient pas été si maigres, les Yuuzhan Vong se séparèrent et approchèrent de l’esclave, chacun d’un côté. Ils lui firent sans doute des commentaires peu aimables, car il essaya en vain de leur échapper.
Pendant ce temps, autour de ses pieds, le sable bouillonnait à cause des coups d’ailes frénétiques des scarabées.
Corran sentit la peur de l’esclave monter, puis être remplacée par de la fureur. Les doigts pliés comme s’ils étaient des serres, l’être poussa un cri féroce et se rua sur le Yuuzhan Vong le plus proche.
Avec un rire rauque, le guerrier esquiva l’attaque puis frappa l’esclave au niveau du cœur. L’homme s’envola pour retomber sur le sol un mètre plus loin. Corran avait distinctement entendu des côtes se briser, mais l’esclave se releva et chargea l’autre Yuuzhan Vong.
Le second guerrier l’arrêta d’un coup de poing au visage.
Le Yuuzhan Vong recula d’un pas, puis frappa de nouveau la même joue. Les excroissances osseuses de ses mains se couvrirent d’un liquide sombre et luisant. Alors, il flanqua un coup de pied magistral à l’esclave, le renvoyant vers l’autre Yuuzhan Vong.
Le premier guerrier ouvrit les bras, imitant un geste de bienvenue. Il dit à l’esclave quelque chose qui sonnait comme une question. L’homme eut l’air de ne pas en croire ses oreilles. Il cracha, les bras croisés, puis se jeta sur le guerrier.
Le Yuuzhan Vong lança un crochet du gauche qui brisa net l’excroissance de corail, sur la joue droite de l’esclave. La force du coup le fit pivoter. Le Yuuzhan Vong le frappa alors dans le dos…
Corran frémit quand l’esclave tomba à genoux.
Une explosion de fureur indiqua au Corellien qu’il y avait un autre problème. Ganner avait dégainé son sabre laser, mais sans l’allumer. Sachant ce que mijotait son compagnon, et conscient que ça ne servirait qu’à les faire tuer, Corran intervint. Utilisant la Force, il déversa dans l’esprit de Ganner l’acre puanteur des rats des sables morts.
Ganner tomba à genoux, se couvrant la bouche d’une main quand son estomac se révulsa. Le peu qu’il restait de son dîner coula à travers ses doigts et se perdit dans le sable.
Il jeta un regard meurtrier à Corran, puis recommença à vomir.
Plus loin, entre les huttes, les deux Yuuzhan Vong interrogeaient l’esclave. Corran sentit la confusion et la colère dans son esprit. L’homme toussa puis marmonna quelque chose d’incompréhensible. Enfin, il se releva et essaya de fuir, mais ses bourreaux ne lui en laissèrent pas l’occasion.
Un coup à l’estomac fit jaillir un fluide sombre de sa bouche. Le sang coula le long de ses joues comme des larmes noires. Les Yuuzhan Vong se déplaçaient autour de leur proie, chaque coup lui fracturant un os.
L’homme s’écroula, si mal en point que quelques coups de pieds supplémentaires ne lui firent plus rien, comme Corran s’en aperçut à travers la Force. Les Yuuzhan Vong se regardèrent en riant. Ils mimèrent les coups qu’ils venaient de porter, et la façon dont l’esclave avait rebondi entre eux.
Puis ils se penchèrent, ramassèrent leur victime par les poignets et les chevilles, la transportèrent au bord du village et la jetèrent dans le sable au-delà de la limite des habitations.
Une légion de rats des sables apparut autour de l’homme.
Imperturbables, les Yuuzhan Vong retournèrent dans leurs huttes.
Corran projeta l’image des collines dans l’esprit de Ganner, puis recula lentement, vérifiant que son compagnon le suivait. Il attendit que le jeune homme sorte de la zone sablonneuse, espérant que l’odeur des rats des sables lui rappellerait que la mort n’était pas loin d’eux.
Accroupis dans les rochers, les Jedi retirèrent leurs raquettes avant de commencer l’escalade. Ganner les attacha sur son dos, l’air buté.
Puis il se tourna vers Corran.
– Si tu me refais un coup pareil, je te tuerai !
– Nous aurions été massacrés dans le village si je n’avais pas agi…
– Tu les as regardés battre cet homme à mort sans lever le petit doigt !
– Exact. Tout ça parce que nos traces leur auraient permis de remonter jusqu’au campement des étudiants. Nous avons vu deux Yuuzhan Vong, mais il y en a peut-être des douzaines, ou des centaines, dans la grande coquille. Si nous avions descendu ces deux-là, nous aurions condamné à mort le docteur Pace et son équipe !
– Et s’il y avait seulement eu ces deux Yuuzhan Vong ?
– A ton avis, quelle est la probabilité que ce soit le cas ?
– Il y a seulement deux Jedi ici.
– Epoustouflante logique, Ganner ! (Corran plaça les raquettes sur son dos, puis tira sur les poignets de ses gants.) Ils sont peut-être deux, et peut-être deux mille. Je ne doute pas que nous soyons obligés d’en tuer quelques-uns avant de quitter ce monde, mais plus nous retarderons la confrontation, mieux ça vaudra.
– Pour que d’autres aient le temps de mourir ?
– Non. Pour que nous ayons une chance d’empêcher les gens d’Agamar d’être capturés. Ce que nous avons vu n’était pas simplement deux Yuuzhan Vong s’amusant à battre quelqu’un à mort.
– C’était un sport pour eux. Un sport cruel.
– En partie, peut-être. Mais il y avait autre chose. A la façon dont ils lui parlaient, ils attendaient quelque chose de lui. Et leur mépris, leur colère, leur frénésie à la fin… Il se passait autre chose.
– D’accord, réfléchis aux motivations de ces meurtriers. Pour le bien que ça nous fera…
– Peut-être, mais ce n’est pas tout ce que nous avons. Les échantillons de sol peuvent aussi nous apporter des informations précieuses…
– Tuer des Yuuzhan Vong serait encore plus précieux à mes yeux.
– Et des Jedi morts ne serviraient plus à rien. L’important, pour le moment, est de retrouver les étudiants pour voir s’ils peuvent nous aider à comprendre ce qui se passe ici. Puis nous devrons essayer de partir avec ce que nous aurons appris.
– Et si nous ne pouvons pas ?
– Les premières fois que les Jedi ont affronté les Yuuzhan Vong, ce fut une victoire. A nous de confirmer la tendance…